La cause formelle de l’art hors d’elle-même

L’homme produit un objet dont il est lui-même le principe essentiel constituant comme l’objectivation de l’homme dans la réalité. Ainsi – et l’on retrouve clairement cette distinction traditionnelle chez Valéry puis chez Souriau, alors que les objets naturels détiennent en eux-mêmes leur principe, c’est-à-dire leur raison et leur cause –, « l’art concerne toujours un devenir, et, s’appliquer à un art, c’est considérer la façon d’amener à l’existence une de ces choses qui sont susceptibles d’être ou de n’être pas, mais dont le principe d’existence réside dans l’artiste et non dans la chose produite .

Ainsi l’œuvre a sa cause formelle hors d’elle-même ; l’art relève donc non de l’action mais de la production. Comme nous l’explique É. Souriau, c’est dans sa Métaphysique qu’Aristote a traité cette question : Souriau précise que ergon signifie en grec « aussi bien l’ouvrage fait que le travail par lequel on le fait », « c’est pourquoi Aristote oppose les deux verbes poïein et prattein, faire et agir, le faire aboutissant à l’existence du poiema, la chose faite ». Double opposition de l’idée de faire avec non seulement l’agir mais encore « avec l’idée d’une genèse, d’une advenue à l’existence par suite d’une phusis, d’un processus naturel. […] C’est que l’œuvre d’art a sa cause formelle hors elle-même. La graine qui germe a en elle-même la cause formelle de la plante qui va pousser. Mais la statue n’a pas en elle-même la cause de sa forme ; c’est la volonté de l’artiste qui lui impose cette forme.

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CONTE Richard, « La poïétique d’Étienne Souriau. Étienne Souriau’s poïetic », Nouvelle revue d’esthétique, 2017/1 (n° 19), p. 13-21. DOI : 10.3917/nre.019.0013. URL : https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2017-1-page-13.htm