L’ordinaire doit être réévalué et considéré comme source d’étonnement philosophique et d’émerveillement esthétique. Partant de ce constat, il m’a paru nécessaire d’interroger cet éternel lieu commun du contraste entre l’art et la vie, pour cerner au plus près l’hypothèse d’un rapport de continuité entre la production esthétique et les pratiques de vie. Cette continuité ne va pas de soi. Que l’on saisisse la vie comme le reflet inhibé de l’art, que l’on définisse l’art comme l’expression des structures fondamentales de la vie, ou encore que l’on considère l’expérience esthétique comme la purification formelle de l’attitude subjective habituelle, la vie ordinaire finit souvent par être assimilée à ce qui n’est pas de l’art. Cette dissociation de nature entre l’art et la vie ne peut être dépassée que par une redéfinition de l’ordinaire. Plus spécifiquement, à l’intérieur de ce questionnement, les gestes du corps ont une place centrale dans la mesure où il n’y a pas de vie sans pratiques de vie, et donc sans relations subjectives et somatiques avec l’environnement et avec autrui.
L’hypothèse de départ est la suivante : si la vie peut être assimilée à l’art, ce n’est que dans la mesure où l’art et la vie sont deux instances distinctes mais intrinsèquement indissociables. C’est ce que je nomme le régime d’indiscernabilité. Selon ce régime, pour que deux choses puissent être indiscernables, il faut, en toute logique, qu’elles soient à la fois autonomes (qu’elles ne soient pas l’une la cause de l’autre, par exemple) et consubstantielles (qu’elles partagent le même champ d’existence). L’indiscernabilité devient effective si l’on cesse de considérer la vie ordinaire comme un état naturel indéterminé, sorte de limbe léthargique de l’ensorcellement esthétique, pour l’appréhender comme une réalité esthétique prenant forme dans un vécu gestuel et corporel. Loin de constituer son achèvement ultime, l’art ne ferait qu’imiter les qualités de la vie, et cela en raison du fait qu’elles sont déjà, en tant que telles, esthétiques. Au rebours de la hiérarchie conventionnelle, ce n’est sûrement pas l’art qui dominerait la vie mais l’inverse, car les qualités proprement esthétiques d’un geste ordinaire ne proviennent pas du monde de l’art, mais directement de celui de la vie.
Esthétique de la vie ordinaire
Barbara Formis
https://www.cairn.info/esthetique-de-la-vie-ordinaire–9782130584315.htm
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De la vie à l’art et de l’art à la vie
Léa Casagrande
https://www.les-philosophes.fr/esthetique-et-philosophie-de-lart/vie-ordinaire-formis.html